Éditorial
Le groupe APA de Toulouse a décidé en 2019 de reprendre certaines thématiques abordées depuis 2003, année de sa création, dans l’idée de transmission aux nouveaux membres du groupe, de prendre du recul sur nos réflexions, de les actualiser, les enrichir. Progressivement, s’est dessiné le projet d’éditer des carnets, sous forme papier et numérique, sur chacun des thèmes retenus afin de garder une trace. Après un remue-méninges, nous avons choisi pour titre LA PAGE - Groupe APA de Toulouse. Au fil de son inspiration, de ses envies, de ses centres d’intérêt, chacun.e propose un article, un récit… donc chaque carnet est différent.
L’autoportrait a immédiatement été retenu comme premier thème. Nous l’abordons dans ce premier carnet.
Nos autoportraits écrits sont complétés par ceux de Christian Bobin, de Michel Leiris, d’Apulée. Nous nous intéressons ensuite à l’expérience conduite à Lyon par Franck Castany avec des collégiens et des lycéens, puis à l’autoportrait sous l’angle du rapport à la création qu’entretiennent les artistes. Nous terminons par la présentation des autoportraits d’Hélène Schjerfbeck, peintre, et de l’exposition Nos histoires cousues racontant l’aventure d’un groupe de femmes ayant participé à un atelier sociolinguistique sur le thème Parler de soi et de sa culture.
Roseline Combroux
LA PAGE : Autoportrait par le groupe MPAPA
(Midi-Pyrénées Association Pour l’Autobiographie)
sous la direction de Roseline Combroux
ISBN : 979-10-92936-02-5
Dépôt légal : mars 2021
Édité et imprimé par l’Atelier Élan des Mots → http://wikifiction.fr
© Atelier Élan des Mots, mars 2021
Image de couverture :
Birthday (1942) par Dorothea Tanning → https ://www.dorotheatanning.org/
Nos autoportraits
Peu après la fondation de notre groupe régional de l’APA, baptisé MPAPA (MP pour Midi-Pyrénées), décembre 2003, chaque membre du groupe fut invité à écrire son autoportrait. Tous parurent dans le numéro 37 de La Faute à Rousseau (octobre 2004). Nous les rééditons ici aujourd’hui avec un commentaire actualisé des autrices et de l’auteur encore dans le groupe.
Nous ajoutons les autoportraits des personnes présentes aujourd’hui qui n’avaient pas encore intégré le groupe à l’époque.
La plupart des textes sont accompagnés d’un autoportrait en collage issu d’un atelier animé par Isabelle Eches. Pour l’une d’entre nous, le collage seul tient lieu d’autoportrait.
Avec une pensée émue pour Jacques et Marie Hélène qui nous ont quittés, commençons par leur texte.
Photo de Tatiane Herder provenant de Pexels
Jacques
décédé le 8 septembre 2005 - FAR n°37 - Octobre 2004
A pas d’auto, n’en pâtis pas, a pris le parti du vélo, suis écolo. A passion du portrait, suis photographe. A papa, a maman (à Paris), qu’est à l’APA - maman - depuis longtemps. A passé du temps à m’écrire ou m’écrier, rapport à papa et à maman, et au reste qu’a pas toujours été facile, mais a passé les pages toutes au feu, l’APA les aura pas. Papa de trois filles apatantes. À part ça, fabrique des livres pleins de mémoires, pas à pas, mot à mot, à papier recherché. Ah ! J’aime la poésie et lire à voix haute, et j’aime É… A patati, a patata…
Marie Hélène
décédée le 25 septembre 2015 - FAR n°37 - Octobre 2004
Je regrette de ne pas mesurer 1m80, 50 kg. Je verrais le monde plus haut, sans périscope ni périphrase ni parapluie. Le parapluie, c’est indispensable. J’en ai perdu beaucoup, surtout les beaux, les chers. Beaucoup perdu… Sauf l’humour. « De la distance avant toute chose et pour cela préfère l’humour », c’est ma devise. Verlaine a ri, j’ai aimé follement Verlaine jusqu’à ce que je rencontre Saint-John Perse. Des horizons, un air du large et des lointains. Il était plus grand que Verlaine : j’étais fascinée ! J’aime aussi les vers blancs. Les gens détestent les vers blancs, j’aime leur musique dans mes phrases, elle vient légère et folle sans y penser, et danse, danse… J’ai beaucoup dansé, surtout à la barre. Je sais pourquoi : c’est à cause de Vallès ! Comment ? Son corps battu, le mien ! Vallès, la dignité des pauvres, des rires avec des cris, sous cape, lui aussi. J’écris aussi. Des thèses et des vers, des histoires d’enfants, pas de journal, mais si, celui du quartier, des récits de voyage, volés le soir au temps qui passe. J’écris, c’est fini.
Wikimedia Commons : Autoportrait de Charles Baudelaire
Claude
Collage de Claude
Je suis à plus de la moitié de ma vie, si je me reporte à la mesure de l’âge d’homme. J’en suis aux balbutiements, si je me reporte à l’âge de l’humanité. En regard de l’âge de l’univers, je ne suis qu’une infime parcelle de temps. Je ne me sens pas des contours très dessinés, ma silhouette ressemble à quelque chose d’assez fuyant, changeant chaque jour selon la lumière, une silhouette se reflétant sur des flaques de verre, diffractée. Demain elle sera différente, peut-être déjà ce soir. Je suis comme une porte, parfois ouverte, parfois fermée. Peu de personnes au monde en ont la clef.
Du soir au matin, je m’évanouis. Qui suis-je quand je m’absente ?
Dans mes rêves, je n’ai pas d’âge. Comme une muraille le sommeil m’entoure et me protège des bruits et des éclats de lumière. Je suis moi dans la nuit, un autre moi qui renoue un dialogue interrompu par les réveils matinaux et la reprise des habitudes. Les roulements du soir se reposent dans les creux du lit, dans les creux des corps, dans les plis des draps et de la chair abandonnée. Les paysages nocturnes ne ressemblent pas à ceux de la pleine lumière. Les paysages intérieurs sont des éclats de verres colorés qui recomposent les images dans des figures souvent ineptes. Elles laissent parfois une vive impression qui perdure en sourdine dans l’activité du jour, affleurant telles des îles volcaniques qui couvent une éruption inattendue. Tout ce magma bouillonne en deçà de ma conscience, demandant à émerger, à être reconnu et nommé.
C’est pour cela que j’écris.
Une goutte d’eau a délayé l’encre bleue des mots que j’ai tracés. Les lettres sont déformées, les images diluées, les contours imprécis. Je ne saurais dessiner ma silhouette en une ligne continue. Je ne peux aborder ce que je suis que par touches successives. Je dois m’éloigner du sujet et travailler les yeux mi-clos. La pleine lumière nuirait. J’écoute les bruits sourds et j’entends un cœur, battant infatigablement, pulsant la vie, pulsant le sang. C’est incroyable d’avoir si peu conscience du travail incessant de son propre cœur, chaque seconde.
Je suis la seconde qui frappe et qui avance sans cesse en martelant l’espace à ouvrir. Si on me demandait en cet instant quelle est la part de moi qui me décrirait le mieux, je répondrais : ma peau. Ma peau qui me voile et me dévoile. Celle qui porte les marques des ans et des coups, celle qui porte l’empreinte de l’ange. Ma peau qui donne et reçoit les caresses, ma peau qui se frotte à d’autres peaux et à la peau du monde parfois si rugueuse. Ma peau-limite, ma peau-barrière, ma peau-entrecroisement, tissus et réseau. Ma peau nue, ma peau vêtue, ma peau exposée, ma peau cachée. Le moi-peau, l’enveloppe, le rivage de la relation. C’est sur des peaux que l’on écrivait autrefois. Des peaux apprêtées, grattées, affinées, des parchemins. Les parchemins avaient grande valeur et grand coût. Afin de les réutiliser on les grattait et parfois il restait quelques mots, quelques lettres. Cela donnait un palimpseste. J’éprouve souvent le besoin de gratter le parchemin de ma peau, de faire peau nette pour laisser la place à d’autres mots, à d’autres impressions, à d’autres connaissances. Il demeure toujours quelques mots, parfois des phrases entières.
Je suis un palimpseste.
Quand je rencontre un autre palimpseste cela nous mène vers d’étranges textes. Il n’est pas toujours facile d’accorder nos mots.
Dany
FAR n°37 - Octobre 2004
Qui suis-je ? — Ben... Justement, c’est ce que je cherche.
Janvier 2019
Ce n’est ni par cabotinage (quoique...) ni par manque d’inspiration (quoique...) ni par souci de la concision (quoique...) que j’ai produit cette non production d’autoportrait.
L’explication va vous décevoir par sa trivialité : La Faute à Rousseau nous accordait deux pages (observez : notre article commence tout en haut de la page 11 et se termine tout en bas de la page 12) ; quand j’ai transmis nos textes pour insertion, on m’a dit « c’est trop long, il faut raccourcir un peu » ; plutôt que d’imposer à chacun de revoir son texte, compte tenu en outre de ma présentation du groupe qui occupait déjà la moitié d’une page, j’ai décidé de réduire mon pseudo-autoportrait au minimum.
Cependant, comme toujours, la contrainte est inspiratrice. En effet, au moment où « est prise » cette image de moi cherchant qui je suis, je travaille déjà à l’écriture d’un livre qui sera publié en 2009 (la lenteur est sans doute un des traits de mon portrait) et qui porte sur l’autoanalyse. On y trouve d’ailleurs environ quatre pages d’autoportrait : Qui a écrit cet ouvrage (p.13-14) et Pourquoi l’écriture ? (p.223-225).
En rédigeant Autoanalyse et ateliers d’écriture, me penchant sur différentes périodes de ma vie, requalifiant certaines activités sérieuses en futiles et inutiles et d’autres futiles en épanouissantes, je suis redevenu Dany. À ma naissance, ma mère a donné à l’État Civil « Dany » comme prénom de son fils. « Dany, ça n’existe pas » a rétorqué l’employé et il a inscrit Daniel mais je suis resté Dany... jusqu’à ce que devenant homme (entendre ado), j’estime plus sérieux d’adopter le nom de l’État Civil. Quand j’ai demandé à mon éditeur d’inscrire Dany Orler comme auteur de mon livre, j’avais enfin compris que ce que l’on veut être doit prévaloir sur ce que la société nous impose de devenir. Aujourd’hui, je revis cette erreur d’État Civil au quotidien quand je me présente « Dany » et qu’on me répond « Bonjour Daniel ». La pression sociale, exerce une force opposée au deviens celui que tu es nietzschéen. Demain, elle nous dira « sortez masqués » et nous sortirons masqués, bouche cachée, empêchée.
J’avoue : avec cette dernière phrase, j’ai un peu triché : je l’ai ajoutée en septembre 2020. Si je l’avais énoncée en 2019, on m’aurait répliqué : « Non, là, tu exagères ».
Dorothea Tanning
Née le vingt-cinq août 1910 à Galesburg (Illinois) dans une famille d’origine suédoise, Dorothea Tanning devient dessinatrice publicitaire à New York (1930) avant de rejoindre, six ans plus tard dans la même ville, le groupe des surréalistes formé autour d’André Breton. Peintre appartenant à ce mouvement, elle est aussi lithographe, poétesse, sculptrice (entre autres) et autrice d’une autobiographie intitulée Birthday (traduite de l’américain par Monique Fong et elle-même chez Christian Bourgois en 1989), titre repris d’une toile (1942) reproduite plus haut (également visible en couverture).
Je l’ai collée dans mA PAge — c’est mon collage — car toutes ces portes me parlent : d’un côté, toutes les ouvertures que la vie nous offre ; d’un autre, les choix que cette multiplicité nous impose dans le battement d’une vie.
Celle de notre artiste compte parmi les plus longues, elle nous a quittés à cent un ans, décédée le trente et un janvier 2012 à New York où elle était retournée en 1976 après avoir vécu vingt-trois ans en France : Paris, la Touraine puis Seillans (Var, 1969-76).
De Birthday, la toile, elle dit dans Birthday, le livre (p.14) :
J’avais été frappée, un jour, par une fascinante enfilade de portes […] serrées les unes contre les autres, invitant mon attention avec leurs plans capricieux, la lumière, les ombres, les ouvertures et fermetures imminentes. De là, il n’y avait qu’un pas pour sauter dans un rêve de portes innombrables.
En 2001, Dorothea Tanning a repris et complété Birthday dans un ouvrage intitulé Between Lives dont il semble qu’une traduction française ait existé mais elle demeure introuvable à ce jour.
Que l’on me pardonne de ne pas avoir précisé qu’elle était la femme de Max Ernst. Cela me paraissait peu opportun pour évoquer l’artiste qui, parmi ses camarades surréalistes mâles voyant la femme comme compagne ou muse, ou encore un mystère délicieux (Birthday, p.27) à travers lequel s’exprimaient leurs désirs, a apporté, par son œuvre et les fantasmes qui s’y révèlent, un inédit point de vue érotique féminin.
Ici, un un autre Self-Portrait peint par Dorothea Tannig deux ans plus tard.
Images prises sur le site de la fondation Dorethea Tanning.
https ://www.dorotheatanning.org/
Dominique
Dominique a choisi de s’autoportraitiser tout en collage... sans texte.
Léonard de Vinci - Ce dessin à la sanguine est accepté comme un autoportrait original, mais depuis 1980 sa paternité est contestée. La principale raison sur l’hésitation à l’accepter comme autographe est que le sujet est apparemment d’un âge que Léonard n’a jamais atteint. (Wikimedia Commons : Leonardo self)
Isabelle
Collage d’Isabelle
FAR n°37 - Octobre 2004
Meilleure à l’oral qu’à l’écrit, cette petite phrase m’a poursuivie à l’école dans ma famille au travail. J’en ai fait une seconde nature, je suis la bavarde, celle qui n’a pas les meilleures capacités d’écoute, celle qui explique, qui râle, qui l’ouvre le plus vite possible pour ne pas avoir à l’écrire. La communicante, la formatrice, la fan de radio, auditrice inconditionnelle de France culture et créatrice d’une émission de radio interne à mon entreprise. J’ai rejoint l’entreprise que j’avais largement financée adolescente en me jetant sur le téléphone pour papoter avec mes copines que je venais de quitter... Cinq années passées avec bonheur au Vietnam au cœur de l’enfance entre cinq et dix ans, au côté d’un père ethnologue et d’une mère professeur d’anglais ; reste un goût pour les saveurs étranges, les idées nouvelles, les assemblages bizarres de choses, de gens et d’idées, le besoin de réunir des fragments. Mon monde préféré : celui du collage, du montage vidéo, de la mosaïque et du pochoir.
Janvier 2019
J’ai soixante-six ans, toujours aussi bavarde, sautant du coq à l’âne. Toujours agitée passionnée par des projets innovants, la découverte de nouveaux pays, un peu sale gosse et mauvaise tête, une résistante du quotidien et une révoltée. Je suis une enfant de la moyenne bourgeoisie intellectuelle, arrière-petite-fille, petite-fille, fille d’enseignants à tous les niveaux, une dominée de la classe dominante disait ce bon vieux Bourdieu. Je suis de légèrement à largement déprimée. Un investissement militant modéré mais une laïque convaincue. Mon seul domaine de militantisme effectif, tant sur le plan professionnel que personnel : le féminisme et la lutte contre les stéréotypes et les discriminations. Un goût pour l’humour noir, de mauvais goût, décalé et pertinent de Charlie Hebdo. Des yeux qui me lâchent progressivement.
Autoportrait de Plantu (Wikimedia Commons : PLANTU-AUTOPORTRAIT)
Josiane
Au début je voulais faire un descriptif très complet de ma petite personne et finalement j’en arrive à la conclusion que cet exercice est un tantinet prétentieux et peut vite devenir pompeux !
Donc, voilà, je suis née il va y avoir soixante-cinq années et baptisée Josiane. Je suis vite devenue Josy pour ma famille et mes proches, puis Jo, Jojo, TataJo et MimiJosy au fil du temps et des rencontres… Peu importe ! Tout ça pour dire que de mon point de vue un prénom est un code comme tant d’autres qui m’importe peu et je n’ai aucune exigence à ce sujet. Chacun choisi.
Je suis née très rouquine, ce qui m’a parfois complexée, car moquée par des camarades indélicats ainsi que par des enseignants stupides. Donc, j’ai été complexée et d’une excessive timidité. Cela a certainement eu un impact sur ma construction mentale, comme l’on dit de nos jours. Pour moi c’est le monde du travail qui m’a libérée et épanouie. Actuellement jeune retraitée, je ne suis plus du tout inhibée et la mutique que j’étais est devenue une grande bavarde, trop bavarde j’en ai conscience. J’ai tellement de choses à exprimer me semble-t-il ! Depuis ma retraite, je canalise ce besoin grâce à l’écriture chaque fois que je le peux.
Alors que dire de moi ? Que tout comme mon autoportrait ci-dessus réalisé en peinture je suis multiple et unique comme tous mes semblables humains, avec des zones d’ombres dont je ne suis pas sûre de connaître tous les contours. Une face visible plus profonde qu’il y paraît ? Oui car, comme bon nombre de timides, j’ai trouvé le moyen de m’en sortir avec des pirouettes et de l’humour. Dès que j’ai compris que ça fonctionnait j’y ai pris plaisir. Jouer sur les mots a longtemps été une seconde nature. Tout cela m’a valu une étiquette de clown plaisantant toujours, ce qui est faux évidemment ! Mais c’est le prix à payer. Je pense aussi pouvoir dire que je suis une rebelle, une féministe, mai 68 y est sans doute pour quelque chose... ou pas ?
À part ça j’aime la vie, les gens, et j’exècre l’injustice, bref comme des milliers d’êtres humains sur cette planète, c’est un peu cliché de le dire mais c’est l’exercice qui veut ça. Une de mes qualités est d’être compétitrice, très compétitrice au point que je le perçois aussi comme un défaut. Cela m’a permis d’évoluer tant sur le plan personnel que professionnel. Une autre de mes caractéristiques est que je suis à réaction lente... Je me hâte lentement et mûris les choses longtemps avant de les accomplir.
Mais avant tout, je suis persuadée que ce que je suis-je le dois aux autres, aux diverses rencontres qui ont jalonné ma modeste existence. J’ai compris que l’on n’est rien sans les autres, on s’accomplit à travers eux. Qu’ils en soient remerciés ! Il en va ainsi pour l’humanité dans son ensemble. De fait, je m’attache très vite et mets beaucoup d’affect dans mes relations. Je cultive l’amitié que je donne et reçois ; je ne conçois pas l’existence sans cela. J’accorde spontanément ma confiance, mais je souffre et suis très déstabilisée lorsque ce n’est pas réciproque. Je suis profondément heurtée si l’on ne me fait pas confiance, et cela peut impacter la sérénité des mes relations à l’autre. Je privilégierai toujours un rapport humain à un instant matériel, hormis peut-être pour un morceau de musique. En effet j’aime beaucoup la musique, enfin ma musique car je n’ai pas eu d’éducation musicale et j’ai un goût prononcé pour le Rock et la Pop. Cependant, j’apprécie tous les styles musicaux. Je suis également quelqu’un de très curieux, qui a envie de découvrir et connaître beaucoup de choses, ce qui me confère un léger vernis culturel dans bien des domaines. À part la danse et l’architecture, j’aime les arts. À mon grand désespoir, je lis peu depuis une paire d’années, je manque de concentration… Je n’arrive pas à me l’expliquer même si cela correspond à mon départ en retraite ainsi qu’à une intervention chirurgicale... énigme ! Autre chose ? Oui, je suis fortement attachée à mon pays d’origine, un petit coin audois qui est ma colonne vertébrale, mon ADN.
Avant de conclure ce galimatias, je vous livre mon mot préféré de la langue française : délicieux.
Voici aussi quelques citations qui me correspondent :
La liberté est un état d’esprit. Paul Valéry
Les plus belles vies sont celles qui se rangent au modèle commun et humain avec ordre, mais sans miracle et sans extravagance. Michel de Montaigne
Le bonheur c’est comme Dieu, il n’existe que si l’on y croit. ». Moi-même
Pour terminer, je dirais que si je trouve ma vie ordinaire, cela me convient, j’en suis heureuse. Je « kiffe ma life ». Je suis heureuse de mon parcours, avec peut-être un regret, celui de n’avoir pas appris la musique ni à jouer d’un instrument. Mais je savoure la musique que j’écoute et que j’aime. Et malgré les vicissitudes, la mort qui m’a approchée à plusieurs reprises, je dirais que j’ai eu de la chance. « Gracias à la vida ! »
Wikimedia Commons
Honoré Daumier, Un français peint par lui-même, 19th century, NGA 196573
Lucie
Collage de Lucie
FAR n°37 - Octobre 2004
Petite aimait les mots. Ceux étranges, venus d’un autre monde : acétylsalicylique... Mais la SŒUR (Hildegarde) avait dit, écrit, « Pauvre enfant » ! Lucie avait entendu PAUVRE. C’était vrai. Non, elle, pas médecin.
L.M. poussée mariage... Trois enfants. Reprend ses études, devient infirmière. Contente. TRAVAIL tr, tr, très dur hôpital.
Mots reviennent. Apaisent, consolent, calment, chantent pour L. – pour amis – pour APA... Ah ! Oui, elle a eu la croix (la Légion d’honneur).
L. beaucoup écrit. Décousu, touche à tout, pour elle. Mais parfois ses mots sont dits sur les planches, ou ailleurs, chantés.
Lecri encor !
Janvier 2019
Sans doute un peu moins fauchée, mais toujours pauvre, pas assez riche pour donner à toutes les causes qu’elle aimerait défendre. Qu’elle défend de son mieux.
Toujours amoureuse des mots. En fait toujours usage, sur papier d’abord, sur écran ensuite. Toujours lectrice insatiable. Pratique le club de lecture assidûment. Pratique encore quelques ateliers d’écriture. Est, quelquefois, sollicitée pour raconter : La cité où elle habite, son histoire, les récits de voyage, le travail de sa vie active, et aussi de la fiction, de la poésie. A participé à des lectures, avec les voix des autres, la sienne pas trop.
Écrit encore un peu. Hasarde quelques pas sur des sentiers nouveaux. Est toujours fidèle à l’APA qui fut son premier pas pour ouvrir les cahiers et les tiroirs.
Est de plus en plus requise par le besoin d’inventaire.
Été 2019. Premier retour
Après Limoges on commence à bouger, à remettre son imperméable, à vérifier que la valise est facilement accessible. Les deux autres personnes du compartiment s’occupent elles aussi, on peut tirer les rideaux. L’aube éclaire à peine les masses sombres des arbres. Le paysage, vallonné de prairies, de quelques parcelles de chaume plus claires, lui saute aux yeux tant il lui paraît vide. Où sont les gens ?
Elle pense à leur maison, celles des parents, à l’orée de la garenne, entourée de chênes de châtaigniers, loin de tout, loin de tous, loin de la vie. Là, on ne vit pas, selon les nouveaux critères qu’un an à peine de vie dans la capitale viennent d’ancrer en elle. On ne se sent plus d’ici en posant sa valise à Brive, sur un trottoir mouillé de rosée. À part soi elle pense : on ne se sent pas en ville, tout est si petit. Pour rejoindre l’arrêt du bus, on doit traverser une partie de l’agglomération. Très vite la rue devient la route de Tulle, bordée de champs, de prés. On gonfle les poumons de cet air vivifiant, chargé de parfums, tels des fumets exhalés d’une immense cuisine. La terre, l’herbe, les sous- bois, les vaches, les feux de bois... On pense au café, au pain, jusqu’à le sentir. On a faim, tout d’un coup. Tout en marchant on se délecte des odeurs, on les prend en bouche. Une envie de fouiller la haie, de gratter la lisière du bois, pour y découvrir, qui sait, une pomme, un champignon, une châtaigne, quelque chose de fort, de succulent. La promesse des futaies.
Même si on a réchappé de cette enfance, elle vous court sous la peau y infusant un paysage constitutif de son moi propre, sensoriellement perceptible. Cependant, on sait que la vie sera ailleurs.
Ce premier retour, après un premier et long déracinement, a été vécu avec une certaine mélancolie. Pour la première fois je ressentais que je me coupais des miens. Là où je vivrais, ils n’auraient pas leur place. On pourrait parler d’un exil intérieur.
Autoportrait de Sarah Bernhardt. (Wikimedia Commons :
Bemberg Fondation Toulouse - Sarah Bernhardt Autoportrait 1910, Inv2111)
Marie
Collage de Marie
FAR n°37 - Octobre 2004
Je m’appelle Marie... De Masie comme je disais m’appeler avec ce léger cheveu sur la langue, quand j’étais la petite fille entourée de l’ombre pesante de l’absent que j’honorais avec celle qui en portait le deuil, pendant cette enfance que j’ai toujours au fond de moi et que je voudrais encore dire, jusqu’à Marie et cette femme que je suis devenue, celle qui a toujours voulu essayer de choisir les petites étincelles de la vie, ses visages et ses paysages : j’ai mis beaucoup de temps à aimer ce prénom, autant de temps que j’ai mis à cheminer avec mille détours par les sentiers de traverses, encore sûre que ce sont eux qui donnent souvent son sens à la route effectuée. Maintenant les mots qui ont accompagné toutes ces années et ceux qui sont restés au fond de moi, je voudrais les coucher sur d’autres cahiers pour les donner à ma fille.
Janvier 2019
La route s’est allongée, enrichie de sentiers lointains et les mots et photos de ceux-ci ont enrichi des carnets de voyage, tout comme la pile des agendas a grandi et grandit encore au fil des années qui passent.
Margarete Berger-Hamerschlag : Autoportrait, 1948
Roseline
Collage de Roseline
FAR n°37 - Octobre 2004
Petite, j’étais déjà petite. Petite, je rêvais au prince charmant, je voulais être institutrice, je dévorais les bibliothèques rose et verte. Baignée dans l’idéologie communiste, j’imaginais un monde plus juste. Mes convictions mises à mal par la bourrasque de soixante-huit, ma vie a pris un tournant décisif. Quitter Paris pour Toulouse par amour. Vivre l’aventure communautaire. Militer dans le mouvement des femmes. Devenir formatrice auprès d’adultes illettrés. Expérimenter le théâtre de l’opprimé, le clown analyse. Investir la vie associative et militante. Faire toujours faire jusqu’à l’oubli de soi, jusqu’à se perdre. Tout au long, l’écriture comme une urgence pour crier, exulter, transmettre, consigner, se mettre en ordre, vivre. La lecture comme une révélation, une compagne. Sur le chemin je fais des rencontres formidables.
Janvier 2019
Un peu plus petite et des rides en plus. Un peu moins d’investissements militants mais beaucoup plus à l’APA. Avec la retraite, un recentrage sur la vie personnelle. Toujours beaucoup de lectures mais moins de mémoire. Moins d’écriture mais des collages. Toujours une attention au corps mais toujours plus d’arthrose. Plus de cinéma, de théâtre mais une audition en baisse. Malgré une actualité souvent déprimante, garder confiance en la jeunesse. Toujours et encore de belles rencontres. Cultiver l’amitié indispensable pour accepter la marche inexorable du temps.
Autoportrait de Juana Romani. (Wikimedia Commons :
Romani Juana - Autoportrait 2)
Térésa
Collage de Térésa
Toucher son âme en transiT
Éclairer sa vie par le livrE
Respirer sans être ameR
Espérer la mort instantanéE
Savoirs des songeS
Amusant abracadabrA
Variante
Tirer un portraiT
Éclairage photographiquE
Ressemblance à restitueR
Élan figÉ
Sourires ou grimaceS
Amadouer l’apparA
... Et d’autres
Christian Bobin
Christian Bobin en dédicace à Nancy (Le Livre sur la Place 2011) par Ji-Elle (Wikimedia Commons : Christian Bobin-Nancy 2011 (1))
J’ai quarante-cinq ans, le passage d’une jeune femme dans ma vie m’a ébloui, renversé ou plutôt remis d’aplomb, un passage tout en splendeur et finesse, comme le vent quand il heurte les pétales d’une rose. Aujourd’hui le vent ne passe plus, le vent est sous la terre depuis treize mois et mon cœur continue à fleurir. Dans mon sang, les mêmes roses, enfin pas tout à fait les mêmes, elles sont d’un rouge plus enfoncé, plus affirmé, je ne dis pas : d’un rouge plus noir. J’ai quarante-cinq ans et j’ai envie de vivre et parfois cette envie pâlit et s’éloigne un peu, mais si trois fois rien me tue, moins que rien me ressuscite, et l’envie pleine de vivre m’est revenue ce matin par le chant des radiateurs froids, simplement par ça, alors je crois que je ne serai jamais perdu, même quand je le serai à nouveau. Ceci est mon autoportrait du mercredi 4 septembre 1996, demain aura changé et peut-être déjà ce soir. Je l’ai écrit pour que vous écriviez le vôtre à votre façon, en le datant et le donnant ensuite à quelqu’un que vous aimez. Ceux qui nous entourent parfois s’endorment. Ceux qui traversent nos vies le font en aveugles, sans toujours bien savoir qui nous sommes et où nous sommes. Il est bon de le leur dire. Je vous le dis pour aujourd’hui, mercredi 4 septembre 1996, à onze heures vingt minutes, matin, dans l’appartement froid et chantant.
Christian Bobin : Autoportrait au radiateur (Gallimard, Folio, 2000 – première édition : 1997)
Michel Leiris
Michel Leiris dans son bureau du Musée de l’Homme en 1984. par Charles Mallison (Wikimedia Commons : Michel Leiris.JJ.1984)
Je viens d’avoir trente-quatre ans, la moitié de la vie. Au physique, je suis de taille moyenne, plutôt petit. J’ai des cheveux châtains coupés court afin d’éviter qu’ils ondulent, par crainte aussi que ne se développe une calvitie menaçante. Autant que je puisse en juger, les traits caractéristiques de ma physionomie sont : une nuque très droite, tombant verticalement comme une muraille ou une falaise, marque classique (si l’on en croit les astrologues) des personnes nées sous le signe du Taureau ; un front développé, plutôt bossué, aux veines temporales exagérément noueuses et saillantes. Cette ampleur de front est en rapport (selon le dire des astrologues) avec le signe du Bélier ; et en effet je suis né un 20 avril, donc aux confins de ces deux signes : le Bélier et le Taureau. Mes yeux sont bruns, avec le bord des paupières habituellement enflammé , mon teint est coloré ; j’ai honte d’une fâcheuse tendance aux rougeurs et à la peau luisante. Mes mains sont maigres, assez velues, avec des veines très dessinées ; mes deux majeurs, incurvés vers le bout, doivent dénoter quelque chose d’assez faible ou d’assez fuyant dans mon caractère.
Ma tête est plutôt grosse pour mon corps ; j’ai les jambes un peu courtes par rapport à mon torse, les épaules trop étroites relativement aux hanches. Je marche le haut du corps incliné en avant ; j’ai tendance, lorsque je suis assis, à me tenir le dos voûté ; ma poitrine n’est pas très large et je n’ai guère de muscles, J’aime à me vêtir avec le maximum d’élégance ; pourtant, à cause des défauts que je viens de relever dans ma structure et de mes moyens qui, sans que je puisse me dire pauvre, sont plutôt limités, je me juge d’ordinaire profondément inélégant ; j’ai horreur de me voir à l’improviste dans une glace car, faute de m’y être préparé, je me trouve à chaque fois d’une laideur humiliante.
Catherine Maubon commente L’âge d’homme de Michel Leiris (Essai et dossier) (Gallimard, Foliothèque n°65, 1997).
Apulée : autodéfense en autoportrait
Illustration de Apulée dans l’ouvrage Les Métamorphoses ou L’âne d’or d’Apulée, édition Compain-Bastien 1787. (Wikimedia Commons : Apulee compain ane dor page 011)
Né aux environs de l’an 125 de notre ère, Apulée, philosophe médio-platonicien, avait environ trente-trois ans au moment d’un procès intenté contre lui par le fils de la veuve Pudentilla qu’il avait épousée alors que celle-ci, bien plus âgée et plus fortunée que lui, résistait fermement à toutes les autres demandes. Apulée fut accusé de magie. Dans le passage qui suit, il dresse un autoportrait de lui-même pour sa défense.
Or donc, il y a peu de jours vous avez entendu l’accusation débuter ainsi : « Nous accusons devant vous un philosophe d’une beauté remarquable, et très disert (voyez le grand crime !) tant en grec qu’en latin. » C’est bien, si je ne me trompe, dans ces termes mêmes que commençait le réquisitoire de Tannonius Pudens, homme fort peu disert, il est vrai, pour sa part. Plût au ciel que ces accusations si graves de beauté et d’éloquence, il me les eût véritablement intentées ! je n’aurais pas eu de la peine à répondre : je lui aurais dit comme le Paris d’Homère dit à Hector :
‘’Nul ne doit rejeter les dons des Immortels :
Ne les a pas qui veut...’’
Voilà ce que pour la beauté j’eusse répondu ; j’eusse encore ajouté qu’il est permis, même à des philosophes, d’avoir une figure distinguée : que Pythagore, qui le premier prit le nom de philosophe, était le plus beau de son époque ; que l’antique Zénon, originaire de Vélia, celui qui le premier de tous enseigna par un artifice ingénieux à présenter une question sous deux points de vue opposés, que ce Zénon, dis-je, était aussi d’une beauté incomparable, selon le dire de Platon ; que pareillement beaucoup de philosophes sont connus pour avoir été d’un extérieur charmant, et que tous ils rehaussaient les agréments de leur personne par la dignité de leurs mœurs. Mais ce système de défense, je l’ai dit, ne pourrait me convenir en aucune façon. En effet, outre que je n’ai qu’une figure médiocrement belle, l’assiduité des travaux littéraires enlève au corps tous ses agréments : elle le rend grêle et chétif, elle diminue l’embonpoint, flétrit les couleurs, affaiblit les forces. Cette chevelure même, que par un impudent mensonge ils ont prétendu ne flotter sur mes épaules que pour ajouter à la beauté de mon visage, cette chevelure, tu vois, est-elle bien séduisante, bien soignée ? Peut-il y avoir crinière plus hérissée, plus embarrassée, plus enchevêtrée ! Ne ressemble-t-elle pas à de l’étoupe réunie en paquets et par bourres ? C’est un fatras inextricable, tant il y a longtemps que je néglige, non seulement de la peigner, mais encore de la démêler et de la séparer sur mon front. C’en est, je pense, assez pour réfuter cette accusation de cheveux, dont ils faisaient un crime capital.
Pour parler maintenant de l’éloquence, à supposer que j’en eusse quelque peu, y aurait-il donc là quelque chose qui pût paraître, étrange ou blâmable ? Quoi ! dès mes premières années je me suis voué corps et âme à l’étude des belles-lettres ; j’ai méprisé toutes les autres jouissances jusqu’à l’âge où me voici ; j’ai plus travaillé que n’a peut-être jamais fait aucun homme ; j’ai travaillé le jour, j’ai travaillé la nuit ; j’ai prodigué, j’ai sacrifié une constitution des plus vigoureuses, et je n’aurais pas eu le droit d’acquérir quelque talent oratoire ? Mais qu’ils ne craignent rien de cette éloquence : malgré tous mes efforts, j’en suis plutôt encore à l’attendre qu’à la posséder. Pourtant si cette pensée, qu’on rapporte se trouver dans les poésies de Statius Cécilius est vraie, que l’innocence est de l’éloquence, je conviens en effet, à ce point de vue, et je ne m’en cache pas, que je ne me regarde comme inférieur à personne en éloquence. Car à raisonner ainsi, est-il quelqu’un de plus disert que moi ? Jamais je n’ai conçu une pensée que j’aurais rougi de dire hautement. Oui, en ce sens, je me proclame d’une éloquence incomparable ; toute mauvaise action a toujours été pour moi un crime infâme. Oui, je suis très disert : car il n’existe pas de moi un seul mot, un seul acte que je ne puisse soutenir à la face de tous.
Apulée : Apologie, traduction de M.V. Bétolaud (1836) numérisée, mise en page par Thierry Vebr, librement accessible sur le site de Philippe Remacle : remacle.org.
Apulée : Apologie, version latine et traduction annotée de Paul Valette – éd. Les Belles Lettres, 2002.
Mise à nu
Comme dit ma mère : « l’habit fait le moine ». Outre que le vêtement peut cacher les imperfections du corps, il envoie un message exprimant moins ce que je suis que ce que je représente socialement. Paula Modersohn-Becker (ci-après) nous dévoilant son ventre rond livre son intimité, son être-femme, son être-mère, sa nature humaine indépendante de ce qu’elle fait dans la vie, de ce qu’elle possède. À l’opposé, Pierre Mignard (ci-après) montre à la fois l’artiste talentueux qu’il est (il fignole une toile achevée), sa richesse (un domestique lui tenant les pinceaux, la tenue de la jeune modèle tout aussi somptueuse que la sienne, on n’a lésiné ni sur les accessoires ni sur le décor), sa respectabilité qui tient le spectateur à distance. Des deux, qui est l’exhibitionniste ?
Dany Orler
Paula Modersohn-Becker : Autoportrait au sixième anniversaire de mariage (Wikimedia Commons : Paula Modersohn-Becker - Selbstbildnis am 6 Hochzeitstag - 1906)
Pierre Mignard, Autoportrait avec saint Luc peignant la Vierge. (Wikimedia Commons : MignardSaintLuc)
Dans Femmes au miroir (Thames & Hudson, 1998), Frances Borzello intitule son dernier chapitre « La fin des tabous » et présente, entre autres, le corps accouchant ou brisé (Frida Khalo), vieillissant (Alice Neel), malade (Jo Spence, Hannah Wilke), anorexique (Rachel Lewis).
Olga Rozanova : Autoportrait nu, 1914 (Wikimedia Commons : Selfportrait (Rozanova, 1914 (STG)))
Jean Baptiste Frénet : Autoportrait nu (Wikimedia Commons : Autoportrait nu - Jean-Baptiste Frénet - Lyon MBA 2016-8-1)
Sarah Marie Jones : Autoportrait de l’artiste (Wikimedia Commons :
Female Nude self portrait, vintage style)
Visage de l’invisible.
Collégiens et lycéens en autoportrait.
Dans le cadre de la préparation de la Biennale d’Art Sacré Actuel (BASA) de Lyon 2019, Franck Castany, co-commissaire, a instauré un dialogue entre le monde scolaire et le monde de l’art. Le centre scolaire St Marc de Lyon a proposé à quinze artistes plasticiens d’exposer leurs œuvres dans la grande chapelle lycée St Marc, en plein centre-ville. Chacun d’eux a été sélectionné sur la base d’un dossier de candidature répondant au thème Visage de l’invisible. Un des fruits de cette rencontre fut la mise en place d’un projet d’œuvre collective à l’échelle du centre. Un collège, un lycée général et un lycée professionnel ont accepté la proposition consistant à demander à chaque jeune de réaliser un autoportrait sur un papier de six centimètres sur six. Franck nous livre ici un compte rendu illustré de l’expérience.
Un millier d’autoportraits ont pu être glanés dans l’attente d’être rassemblés en une œuvre. Il incombe aux organisateurs de penser le moyen d’unifier toutes ces petites productions en une œuvre qui exprimera déjà une certaine unité des jeunes dans la diversité au sein du centre scolaire St Marc, de la sixième à la terminale.
Même si le visage reste le principal moyen pour se représenter, nous relevons d’autres motifs tels l’animal, une autre partie du corps, un paysage, un instrument de musique, une silhouette. D’autres encore ont recours à l’écriture ou un mélange d’écriture et de dessin. Certaines productions fonctionnent comme des rébus, un assemblage d’éléments hétéroclites pour se dire. Les visages dialoguent avec des motifs décoratifs pour dire certainement ce qui relie l’homme à son environnement et comment il y habite. Enfin, de nombreuses références à l’univers manga apparaissent dans la manière de dessiner les visages révélant que l’homme ne peut pas se représenter indépendamment du monde et de la culture qui l’entoure.
Par ailleurs, un concours a été lancé en direction de tous les élèves du centre, toujours à partir du thème Visage de l’invisible. Une dizaine d’œuvres plastiques nous sont parvenues.
Trois œuvres sont retenues puis exposées au même titre que celles des artistes de la BASA.
Pour continuer de nourrir ce dialogue entre art et établissements scolaires, des ateliers de lecture d’œuvres seront organisés en présence de certains artistes. Nous espérons que certains enseignants, notamment d’arts plastiques seront sensibles à cette exposition et qu’ils sauront l’inscrire dans leur programme. L’objectif est de permettre aux élèves de faire l’expérience d’élaborer un discours sur une ou plusieurs œuvres, considérant que chaque œuvre appelle de multiples prolongements interprétatifs au-delà de ce qui a été pensé et du processus créatif et proprement matériel. Ainsi l’œuvre continue sa vie dans le regard et à travers l’expression de celui qui l’accueille.
En parallèle de l’espace de la chapelle du lycée St Marc, d’autres lieux ont exposé une partie du travail d’artistes sélectionnés. L’association Lazare, qui organise des collocations solidaires entre personnes volontaires et personnes ayant connu la rue, a reçu dans ses appartements quelques œuvres. Des rencontres et des ateliers y ont été organisés. L’objectif de cette opération est d’organiser des rencontres inédites dans un lieu dont la vocation n’est pas immédiatement de montrer de l’art.
L’art devient ce carrefour de rencontres, de paroles et de sens. En cela, il peut être qualifié de sacré. Il devient l’instrument de la dignité d’hommes et de femmes ouverts à la Vie.
Franck Castany
Autoportrait "tournant" de Nadar, vers 1865.
par Charles Mallison (Wikimedia Commons : Autoportrait tournant Nadar c.1865)
L’autoportrait.
Chez les Grecs, résoudre l’énigme de la vie était mortel. Ainsi le mythe d’Œdipe présente la découverte du secret des origines comme meurtrière.
L’artiste porterait en lui cette inquiétude parce que sa démarche interroge à la fois l’énigme ayant trait à ses origines et les mystères de la création.
Edvard Munch : Le cri 1910 (Wikimedia Commons : Edvard Munch - The Scream - Google Art Project)
Vers le milieu du XIIe siècle, selon les étymologistes, créer aurait été une variante orthographique de crier. Ce terme créer se disait et s’écrivait tantôt créer tantôt crier. Ces deux mots viennent respectivement du latin creare et critare.
Nous pouvons supposer que l’homophonie qui s’est manifestée en vieux français fut le résultat d’une évolution phonétique de la langue et finalement la forme créer s’est imposée telle que nous l’utilisons aujourd’hui : donner existence, donner la vie, tirer du néant, faire naître, réaliser quelque chose qui n’existe pas encore.
Créer pourrait être associé à crier dans la mesure où une création se révèle à l’autre et à elle-même comme une surprise, un inattendu qui saisit et en même temps sépare de celui auquel il doit son origine. Le cri se situe dès l’origine de la parole chez l’être humain, crier fait suite à une entrée de l’air « Inspiration/Première », qui appelle le sujet à la vie et ainsi l’expose dans ce jaillissement à un éprouvé, un saisissement qui renvoie aux expressions, être saisi de douleur, être saisi d’effroi, crier son angoisse. C’est le premier son inaugural de la tessiture des manifestations langagières à venir. Le cri ponctue une séparation voire une perte. Il inscrit l’arrivée au monde du sujet humain et jamais celui-ci n’en retrouvera l’identique, sinon des traces jusqu’à l’ultime « inspiration/expiration/cri », au plus près de la mort.
Crier introduit un espace, un lieu de perceptions à entendre et à quitter comme créer chez l’artiste produit un effet de saisissement mais aussi de césure et de pause. C’est un temps d’arrêt dans son expression picturale où ce qui s’inspire en lui sur des rythmes conjugués et inachevés, l’incite à poser sur la toile ce qui de lui-même n’est pas saisissable.
Créer est-ce repousser la mort ?
Créer est-ce re-pousser le cri ?
Tout portrait qu’on peint avec âme est un portrait, non du modèle, mais de l’artiste. Le modèle n’est qu’un hasard et qu’un prétexte. Ce n’est pas lui qui se trouve révélé par le peintre ; c’est le peintre qui se révèle lui-même sur la toile qu’il colorie.
[...]
Je crains d’y avoir trahi le secret de mon âme Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray - Stock, 1954, p.17.
Quels aperçus de lui-même l’artiste peut-il surprendre à travers les coups d’œil rapides qu’il envoie et reçoit du miroir ?
L’artiste se regarde dans le miroir / il se voit se voir / le miroir lui renvoie son reflet /l’image-reflet qui lui apparaît / le regarde / se voyant.
Sous l’influence de la lumière qui à la fois organise et décompose l’image/reflet du peintre, ce double, cet autre lui-même semble le visiter.
Drapé : Le Portrait de Dorian Gray Oscar Wilde (1992, Encre de Chine, 21 x 29 cm) (Wikimedia Commons : Le Portrait de Dorian Gray Oscar Wilde (1992, Encre de Chine, 21 x 29 cm))
L’idée que le peintre se voit/se voir traduit une attraction du un » par un autre et rappelle l’état fusionnel au moment du narcissisme primaire où l’enfant se prend lui-même comme objet d’amour, cela renvoie également à la captation amoureuse, illusion d’un regard-image/reflet, accaparé et détourné. Cette attirance voire cette fusion confronte le peintre à son altérité, à son double dans une relation imaginaire leurrée. Mais si du regard, l’artiste explore en va-et-vient, du miroir à la toile, les reflets parsemés de rythmes de vie, ceux-ci vont constituer des objets-souvenirs puisés depuis les origines en autant de masques à déposer ; c’est alors que sur la toile, l’autre, à son insu, deviendra un sujet en train de se créer. L’actuel du reflet n’en est que de l’indistinct et c’est du un-distinct qui surgira sur le tableau quand le portrait sera terminé.
L’être donne de lui, ou il reçoit de l’autre quelque chose qui masque, double, enveloppe.
[...]
C’est par cette forme détachée de lui-même que l’être entre en jeu dans les effets de vie et de mort. Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse - Seuil, 1973, Livre XI p.122
Qu’est-ce qui lui revient du reflet de son image ? Quelle découverte lui offre son propre regard ? Alors que la lumière semble altérer cet objet reflet, en diviser les formes, en dissocier les couleurs et rendre trouble son altérité, en quoi le peintre de lui-même à l’autre peut-il en créer un troisième qu’il va portraiturer sur la toile.
Portrait autre qui le sépare et le répare.
C’est par le regard que j’entre dans la lumière et c’est du regard que j’en reçois l’effet. ibid. p.122
Cet effet lumière diffuse et parsème en représentations multiples les reflets imagés du peintre, ils viennent réveiller et nourrir ses propres fantasmes inconscients laissés en suspens.
Ce qui est lumière me regarde et grâce à cette lumière au fond de mon œil, quelque chose se peint. ibid. p.111
Étrangement inquiétant est ce double, puisque de sa place dans le miroir il semble narguer l’artiste. La rencontre du peintre à son double le met en danger mais aussi le regard porté vers ce reflet le met au travail, il souligne un trouble lointain comme signal du pulsionnel, reflet qui traverse les fêlures de son vécu. Penser que le peintre puisse halluciner jusqu’au délire, puisse halluciner que son propre reflet traverse le miroir pourrait traduire la crainte d’être lui-même anéanti par ses propres pulsions destructrices. De quelle manière tuer ce regard/reflet afin que s’échappe une révélation du sensible ?
L’œil du peintre capte, s’imprègne, se laisse pénétrer et grave ainsi par petites touches les perceptions que ce regard/reflet lui donne à saisir, il est photo-graphié. Ce mot, composé de photos (grec fos, fotos) et de graphie (grec grafia), incite l’artiste à peindre sur la toile sa représentation graphique sous l’empreinte lumineuse de son imagination créatrice.
L’image/reflet du peintre est hors temps, hors espace puisqu’il ne peut la toucher, puisqu’il ne peut la saisir. C’est parce qu’elle est insaisissable qu’elle existe en tant qu’image de l’autre double mais non identique. Cette doublure maintient le je du peintre à travers tous ses masques et ses enveloppes détachables. Comme des masques superposés qui retracent l’histoire de l’artiste, les images/reflets dans l’intemporel renvoient à un-temps-péri du réel.
Que va faire le peintre dans cet entre-deux, espace du leurre, après avoir du regard saisi l’image/reflet, puis l’avoir perdue ? Effet mortel dans cette dépossession où chacun de ses gestes va tracer sur la toile ses perceptions et leur donner formes. Se transforme alors l’image scopique en peinture-portrait qui regarde le peintre. Un autre récit s’esquisse et se dessine. Autant de fragments transcrits en impressions pigmentées pour cet inconnu en train de se créer.
Qu’est-ce que le peintre « ex-pose » sur la toile ?
C’est passer par un travail de séparation, une mise à mort de l’autre comme image/reflet de soi. Dans la surprise du surgissement de l’un-su, le portrait va se faire entre-voir sur la toile. En somme pas de création tant que le voir aveugle l’artiste. Celui-ci aura beau chercher, son regard lui échappera toujours.
Le regard se spécifie comme insaisissable. C’est pour cela qu’il est [...] méconnu et [...] que le sujet trouve [...] à symboliser son propre trait [...] dans l’illusion de [...] se voir où s’élide le regard. ibid. p.92
Si affronter son image et s’en défaire expose le peintre à se perdre, c’est dans cette rencontre manquée mais nécessaire que jaillira sur la toile, page blanche immensité plane sans limite apparente, du ça-se crée, le peintre colore à perte de vue, les pertes du vu, qui laissent l’artiste comme endeuillé de lui-même. Sur cet espace où s’affrontent formes et couleurs le peintre crée un nouveau regard, une autre rencontre.
Autoportrait / portrait d’un autre qui le surprend parce qu’il est porteur d’une énigme.
Inquiétante étrangeté dans la vibration de cet autre qui le regarde.
Un autre sur la toile qui donne à voir des traces oubliées qui ne lui étaient pas révélées.
De l’être mortel dans le miroir, le peintre a portraituré l’être à vie sur la toile.
« Je est un autre »... étranger à lui... l’étranger en lui.
Se dessaisir de soi-même pour créer une œuvre d’art — portrait-énigme / suspension du temps —, c’est le secret de l’artiste à son dialogue intime.
Françoise Figus
Helene Schjerfbeck et ses autoportraits
Le musée d’Art moderne de la ville de Paris a organisé une rétrospective des œuvres d’Helene Schjerfbeck du 20 octobre 2007 au 20 janvier 2008 à travers une centaine d’œuvres. Cette artiste m’était complètement inconnue mais les articles et quelques reproductions de tableaux me donnèrent très envie de la découvrir.
Autoportrait 1884-1885
Autoportrait 1913-1926
Autoportrait 1895
Autoportrait "à la bouche", 1939
Autoportrait 1912
Helene Schjerfbeck naît le 10 juillet 1862 à Helsinki en Finlande dans une famille modeste et meurt le 28 juillet 1946. À quatre ans elle fait une chute dont elle gardera une légère claudication. À l’école privée où elle est scolarisée, son professeur remarque son talent et la fait entrer à l’école de dessin de la Société Finlandaise des Beaux Arts, elle a onze ans. Une succession de malheurs marque la famille : mort de sa sœur aînée, de deux frères et de son père emporté par la tuberculose alors qu’elle n’a que treize ans. Sa vie amoureuse est également chargée de déceptions. De plus sa santé fragile la contraint à s’installer à une cinquantaine de kilomètres d’Helsinki. Cet isolement la conduit à s’intéresser à son environnement proche. Elle peint les personnes de son entourage (enfants, couturières, vieilles dames...), des paysages, des natures mortes mais aussi de nombreux autoportraits.
N’étant pas une spécialiste de la peinture, je me suis laissée porter par la découverte de scènes à travers lesquelles transpirent l’ennui, la solitude, la mélancolie, l’étirement du temps, le silence... J’y reconnais une recherche de l’essentiel par l’épure, l’effacement. Ses autoportraits jalonnent son œuvre venant renforcer cette sensation de tension, d’absence.
Autoportrait 1885
Pour aucun de ses autoportraits elle n’utilise d’effet scénique, elle se limite au visage, au cou, aux épaules parfois le buste et ce dès le premier qui date de 1880, au crayon sur papier. Jusqu’en 1912, elle se représente de manière assez conventionnelle. Ensuite, jusqu’en 1944, continuant à sonder son propre visage, elle peint ses impressionnantes têtes stylisées. De grands yeux sombres nous regardent frontalement tantôt avec défi tantôt avec effroi, questionnent, finissent par nous traverser ; les lèvres pincées contiennent de la colère, de la terreur, de l’angoisse ? Elle n’embellit pas son image pour l’extérieur, c’est bien son intérieur qu’elle nous livre.
L’arrivée dans la dernière salle de l’exposition qui regroupe les autoportraits des années 1944 et 1945 fut bouleversante. Elle nous met face au processus du vieillissement, à la frayeur de la mort, à l’inéluctable issue. Nous la voyons s’éteindre, fondre, se dissoudre jusqu’à ne devenir qu’un trait, sur le dernier les yeux clos, prête pour un ailleurs. Le temps l’efface progressivement. C’est fascinant.
L’intensité du regard de tous ces autoportraits nous transmet l’immense solitude à laquelle nous confronte l’approche de la mort.
Autoportrait "en face", 1945
Pour approfondir cette rapide présentation se reporter à l’article d’Uwe M.Schneede : « Ainsi le peintre révèle son âme » in Helene Schjerfbeck (dir. Annabelle Görgen, Hubertus Gassner) - Paris-Musées, 2007.
Roseline Combroux
Autoportrait "Lumière et ombre", 1945
Dernier autoportrait 1945
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Nos histoires cousues
En ce mercredi quinze avril 2019, dans les sous-sols voûtés de la Cité des Métiers et des Arts à Limoges, régnait une ambiance de fête. Des femmes plus élégantes les unes que les autres terminaient un voyage entamé depuis plusieurs mois en compagnie de Fabienne, leur formatrice, véritable vigie résolvant tous les problèmes, donnant le cap avec énergie et détermination. Elles se sont laissé embarquer, elles-mêmes gagnées par le désir de créer toujours plus. Résultat : vingt-cinq créations textiles (terme préféré à poupée) sur leur piédestal attendent le regard curieux des visiteurs, dans leur élégant costume avec leur coiffure originale et leur visage si expressif, insolite. Sur les murs, sur les socles des photos, des textes dévoilent des goûts, des émotions, des souvenirs. Plus loin, des tables débordent de pâtisseries alléchantes, un gâteau cerclé de roses bleues entourées d’une grille en chocolat trône avec un grand MERCI en son centre destiné à Fabienne. Une équipe les interviewe, les filme, elles se prêtent au jeu avec naturel et modestie.
Reprenons depuis le début. Cette exposition Nos histoires cousues présente les créations de treize femmes, réalisées dans le cadre d’un atelier sociolinguistique développant l’ouverture culturelle, le vivre ensemble, la pratique de la langue française à l’oral et à l’écrit, la créativité. Cette action a pu être mise en place par la Fédération Compagnonnique des Métiers du Bâtiment dans le cadre d’un appel à projet du Contrat de ville de l’agglomération de Limoges.
Le thème proposé aux participantes était Parler de soi et de sa culture à travers :
Passé le moment d’étonnement, de doute, elles sont entrées dans l’action jusqu’à ne plus pouvoir s’arrêter de créer. Fabienne a apporté des tissus de récupération, différentes fournitures puis les femmes de l’équipe sont arrivées avec les leurs. Aucune n’avait eu de pratique artistique et certaines n’avaient même jamais fait de couture auparavant.
Une autre étape fut le rapport à l’image, un point délicat. En effet, chacune devait apporter une photo d’elle et/ou de proches pour les transférer sur tissu et donner son visage à la poupée. Parler de soi est une chose, se montrer en est une autre : peur des regards extérieurs, famille, voisins, connaissances ; crainte de la diffusion sur les réseaux sociaux. Après un temps de réflexion, seulement deux ont refusé pour elles et leur famille.
Pendant ce temps de création, leurs productions écrites ont été plus denses, plus spontanées avec des temps de réécriture. Au fil des séances, l’envie de dire, d’expliquer, de parler de soi, de sa culture, de sa famille, a émergé.
En les voyant rayonnantes ce jour du vernissage, une certaine fierté s’affichait et non des regrets. Les doutes, les craintes avaient disparu laissant place au plaisir d’avoir créé seules mais aussi ensemble, d’avoir participé à cette belle aventure. La perspective de l’exposition a nécessité un niveau d’exigence élevé donc des contraintes supplémentaires, davantage de rigueur. Le plaisir de pouvoir faire venir ses proches, ses connaissances, d’accepter le regard d’inconnu.e.s participe au processus de la revalorisation de l’image de soi.
Un film viendra compléter cette magnifique exposition.
Ce travail vient confirmer qu’ouvrir les portes d’un ailleurs possible est source de dépassement de soi par une (re)prise de confiance en soi, la découverte de nouveaux chemins, que le plaisir fait aussi partie de l’apprentissage.
Roseline Combroux
« J’ai habillé ma grand-mère, ma mère et mon bébé avec toutes les couleurs que j’aime. Le bébé est habillé avec le tissu de mon pays. Ma grand-mère avait un grand jardin, alors, je mets les fruits et les légumes sur la tête de ma grand-mère : carottes oignons, tomates, bananes. Les deux portent le foulard diala boti. Je trouve que c’est bien. Je suis très fière de mes créations. » Makoura
« Je brode mes pensées.
Je suis Lamia et je viens de Syrie.
Quand je commence à broder chez moi, je m’assieds dans un coin et je ne bouge plus, puis mes mains bougent avec mes pensées. En effet, je pense à beaucoup de choses qui m’ont traversée dans le passé. Et parfois, mes pensées sont tristes.
En fait, je brode mes pensées pour cela. Le travail n’est pas toujours beau, mais il représente quelque chose. » Lamia
Contacts :
FCMB - Maud Vignaud - Directrice – 05 55 34 45 80
Fabienne La court - Formatrice – 06 15 90 86 31
Nous préparons une autre LA PAGE
avec bibliographie et filmographie
Image et autobiographie
LA PAGE : Autoportrait
Sommaire
Éditorial | 2 |
Nos autoportraits | 3 |
Jacques...3 - Marie Hélène...4 - Claude...5 - Dany...7 - Dominique...10 - Isabelle...11 - Josiane...13 - Lucie...16 - Marie...19 - Roseline...20 - Térésa...22 | |
... Et d’autres | 23 |
Christian Bobin...23 - Michel Leiris...24 - Apulée : autodéfense en autoportrait...25 | |
Mise à nu par Dany Orler | 27 |
Visage de l’invisible. Collégiens et lycéens en autoportrait par Franck Castany | 29 |
L’autoportrait par Françoise Figus | 33 |
Helene Schjerfbeck et ses autoportraits par Roseline Combroux | 37 |
Nos histoires cousues par Roseline Combroux | 40 |
Anton van Dyck - Autoportrait (détail) (Wikimedia commons).
Atelier Élan des Mots
MPAPA |
http://wikifiction.fr
http://autobiographie.sitapa.org |
ISBN : 979-10-92936-02-5
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9 € |