Doc:Individuation : Différence entre versions
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En effet, même si Jung ne développe pas ici cette notion d’''élargissement de la sphère du conscient'', elle n’en reste pas moins le résultat principal du travail d’individuation. Le conscient<ref>p.420-421 de l’édition brochée pour l’entrée ''Conscience'' du chapitre ''Définitions''</ref> n’est qu’une partie de la psyché majoritairement inconsciente. Or, le moi<ref>p.420-421 de l’édition brochée pour l’entrée ''moi'' du chapitre ''Définitions''</ref> au centre de ce conscient, qui conditionne son existence, a la capacité de l’élargir — en somme, de gagner du terrain sur l’inconscient — précisément par l’individuation. À force de distinguer les choses qui nous viennent du dehors de l’être profond, on s’ouvre à l’intérieur. | En effet, même si Jung ne développe pas ici cette notion d’''élargissement de la sphère du conscient'', elle n’en reste pas moins le résultat principal du travail d’individuation. Le conscient<ref>p.420-421 de l’édition brochée pour l’entrée ''Conscience'' du chapitre ''Définitions''</ref> n’est qu’une partie de la psyché majoritairement inconsciente. Or, le moi<ref>p.420-421 de l’édition brochée pour l’entrée ''moi'' du chapitre ''Définitions''</ref> au centre de ce conscient, qui conditionne son existence, a la capacité de l’élargir — en somme, de gagner du terrain sur l’inconscient — précisément par l’individuation. À force de distinguer les choses qui nous viennent du dehors de l’être profond, on s’ouvre à l’intérieur. | ||
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− | ref>{{Bib:FN- | + | ''Restreignons-nous donc à l’épuration de nos opinions et de nos appréciations et à la création de nouvelles tables de valeurs qui nous soient propres : — mais nous ne voulons de ratiocinations sur la « valeurs de nos actions » ! Oui, mes amis, il est temps de montrer son dégoût pour ce qui concerne tout le bavardage moral des uns sur les autres. Rendre des sentences morales doit nous être contraire. Laissons ce bavardage et ce mauvais goût à ceux qui n’ont rien de mieux à faire qu’à traîner un peu plus loin le passé., à travers le temps, et qui ne représentent eux-mêmes jamais le présent. — à beaucoup donc, au plus grand nombre ! Mais nous autres, nous voulons </i>devenir ceux que nous sommes<i>, — les hommes nouveaux, uniques, incomparables, ceux qui se donnent leurs propres lois, ceux qui se créent eux-mêmes !<ref>''Le Gai savoir'', Livre IV, $335 IN {{Bib:FN-Œ}}</ref>{{iC}} |
− | {{ | + | : On reconnaît bien là, dans un style plus radical, la démarche d’individuation décrite par Jung. |
− | Deviens celui que tu es | + | |
− | + | Ce ''Deviens celui que tu es'', adage emprunté à Pindare, poète grec du V<sup>e</sup> siècle av. J.-C., constitue un leitmotiv de la philosophie nietzschéenne. L’ouvrage qui clôturera l’œuvre du philosophe, ''Ecce homo'', sera même sous-titrée ''Comment on devient ce qu’on est''<ref>En français, « celui qu’on est » me paraît plus correct car « ce qu’on est » pourrait laisser entendre « la chose que l’on est ». Notons qu’on traduit généralement les mots de Pindare par « Deviens qui tu es » (« quand tu l’auras appris » (''Pythiques'', II, 72) | |
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Version du 23 avril 2025 à 23:16
Jung précise sa terminologie dans un chapitre Définitions de son ouvrage Types psychologiques[1].
Il définit l’individuation[2] comme
un processus de différentiation qui a pour but de développer la personnalité individuelle.
Il n’est évidemment pas question d’y voir un encouragement à l’individualisme qui conforterait l’individu dans sa certitude qu’il a raison face au monde entier. Au contraire, les idées, voire les sentiments, que nous développons intérieurement proviennent souvent d’idées reçues, de la doxa, et nous devons séparer le bon grain de l’ivraie, distinguer : ce que nous avons intégré machinalement sans l’admettre, sans y avoir réfléchi ; ce que nous avons accepté pour ne pas faire de vagues, pour ne pas donner une mauvaise image de nous, mais qui nous laisse indifférent ou même, profondément, nous déplaît, ce que nous n’avons pas vraiment compris mais trouvons commode d’utiliser, ce qui nous a séduit par sa forme mais dont le fond ne nous correspond pas, ce qui nous a été imposé sous peine de sanctions, ce qui est injuste pour nous même si c’est juste pour d’autres, ce qui a été pesé, peut-être nuancé, adapté, et que nous nous approprions volontiers...
Bref, on ne peut pas se détacher du collectif dans lequel on baigne mais on peut s’en différencier.
Jung voit même un intérêt pour le collectif dans cette capacité de l’individu à s’en détacher :
l’individu n’est pas seulement unité, son existence même présuppose des rapports collectifs; aussi le processus d’individuation ne mène-t-il pas à l’isolement, mais à une cohésion collective plus intensive et plus universelle.
Si une certaine opposition à la norme peut sembler nécessaire à cette démarche, Jung précise :
Une voie individuelle ne peut à vrai dire jamais s’opposer à la norme collective ; seule une autre norme pourrait le faire. Or une voie individuelle n’est jamais une norme [...] dès qu’on lui attribue une valeur absolue, elle ne sert plus à rien. Un conflit réel avec les normes collectives n’éclate que si l’on prend pour norme la voie individuelle, comme le voudrait l’individualisme extrême.
On pense ici au culte de la personnalité que certains régimes autocratiques pratiquent. On comprend que l’individu ne doit pas se prendre pour un nouveau collectif parce qu’il aurait su se distinguer d’un ancien, il est toujours dans le même collectif à qui il apporte son originalité, sa pleine individualité assumée.
- Je me souviens de la phrase d’un politicien s’écriant : « La République, c’est moi ». Sans le nommer ni me prononcer sur ses idées, je me dois de le citer comme l’exemple d’une individuation ratée.
Jung conclut :
L’individuation est donc l’élargissement de la sphère du conscient et de la vie psychologique consciente.
Nous quittons là le collectif, externe — sur lequel Jung a insisté afin de défendre l’idée d’un bénéfice pour la société par ce travail d’individuation —, pour pénétrer au cœur de la psyché à qui profite prioritairement le processus.
En effet, même si Jung ne développe pas ici cette notion d’élargissement de la sphère du conscient, elle n’en reste pas moins le résultat principal du travail d’individuation. Le conscient[3] n’est qu’une partie de la psyché majoritairement inconsciente. Or, le moi[4] au centre de ce conscient, qui conditionne son existence, a la capacité de l’élargir — en somme, de gagner du terrain sur l’inconscient — précisément par l’individuation. À force de distinguer les choses qui nous viennent du dehors de l’être profond, on s’ouvre à l’intérieur.
L’inscription du temple de Delphes :
Connais-toi toi-même et du connaîtras l’univers et les dieux
ne dit pas autre chose.
Et n’est-ce pas l’individuation que Nietzsche évoque quand il dit< « Deviens celui que tu es » ?
Restreignons-nous donc à l’épuration de nos opinions et de nos appréciations et à la création de nouvelles tables de valeurs qui nous soient propres : — mais nous ne voulons de ratiocinations sur la « valeurs de nos actions » ! Oui, mes amis, il est temps de montrer son dégoût pour ce qui concerne tout le bavardage moral des uns sur les autres. Rendre des sentences morales doit nous être contraire. Laissons ce bavardage et ce mauvais goût à ceux qui n’ont rien de mieux à faire qu’à traîner un peu plus loin le passé., à travers le temps, et qui ne représentent eux-mêmes jamais le présent. — à beaucoup donc, au plus grand nombre ! Mais nous autres, nous voulons </i>devenir ceux que nous sommes, — les hommes nouveaux, uniques, incomparables, ceux qui se donnent leurs propres lois, ceux qui se créent eux-mêmes ![5]</blockquote>
- On reconnaît bien là, dans un style plus radical, la démarche d’individuation décrite par Jung.
Ce Deviens celui que tu es, adage emprunté à Pindare, poète grec du Ve siècle av. J.-C., constitue un leitmotiv de la philosophie nietzschéenne. L’ouvrage qui clôturera l’œuvre du philosophe, Ecce homo, sera même sous-titrée Comment on devient ce qu’on est<ref>En français, « celui qu’on est » me paraît plus correct car « ce qu’on est » pourrait laisser entendre « la chose que l’on est ». Notons qu’on traduit généralement les mots de Pindare par « Deviens qui tu es » (« quand tu l’auras appris » (Pythiques, II, 72)
- ↑ → Types psychologiques (Georg éd., 1950... 1991) (sur le site de l’Espace francophone jungien) - Version poche (Georg éd., 2020) (sur le site de l’éditeur)
- ↑ p.449-451 de l’édition brochée pour l’entrée Individuation du chapitre Définitions
- ↑ p.420-421 de l’édition brochée pour l’entrée Conscience du chapitre Définitions
- ↑ p.420-421 de l’édition brochée pour l’entrée moi du chapitre Définitions
- ↑ Le Gai savoir, Livre IV, $335 IN → Œuvres de Friedrich Nietzsche T.1 (Robert Laffont, coll. Bouquins, 1993) - → Œuvres de Friedrich Nietzsche T.2 (Robert Laffont, coll. Bouquins, 1993)